Les annotations personnelles dans le dossier du patient

La dernière mise à jour de cette page date du 22/02/2023.

Note préliminaire 1. Le texte ci-dessous aborde plusieurs dispositions de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient (ci-après abrégée : loi DP), qui s’appliquent aux professionnels des soins de santé - et donc, en principe, aux psychologues cliniciens. Il s’agit d’une lecture juridique présentant comment les annotations personnelles doivent être comprises dans le sens de la loi DP lue conjointement avec le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (ci-après abrégé GDPR).

Au moment de la rédaction de la loi DP, les psychologues cliniciens n’étaient pas encore reconnus en tant que professionnels des soins de santé et n’entraient donc pas encore dans le champ d’application de cette loi. 

Note préliminaire 2. Comme mentionné dans la note préliminaire précédente, ce texte s'adresse essentiellement aux psychologues cliniciens. En effet, seuls les psychologues cliniciens sont reconnus comme exerçant une profession des soins de santé au sens de la loi DP. Cela ne change rien au fait que tout autre psychologue (c’est-à-dire un psychologue non clinicien) doit également en tenir compte dans la mesure où ce qui suit peut s'appliquer à sa pratique.

Il existe une certaine confusion autour du concept d'« annotations personnelles ». Ainsi, le service de médiation fédéral « Droits du patient » constate que les professionnels supposent souvent que les notes manuscrites sont des annotations personnelles [1] (par exemple, les notes que vous prenez pendant une consultation). Ce n’est toutefois pas nécessairement le cas. Des annotations ne peuvent être considérees comme des annotations personnelles que si elle remplissent un certain nombre de conditions.

En outre, depuis l'entrée en vigueur du RGPD, une nouvelle confusion est apparue quant au régime spécifique des « annotations personnelles ». Celles-ci peuvent-elles désormais être consultées par le patient ou non ?

Dans ce dossier, nous explicitons les conditions à remplir pour pouvoir parler d'« annotations personnelles » et donnons deux exemples concrets d’annotations personnelles. Nous espérons ainsi clarifier ce que vous devez comprendre par « annotations personnelles » au sens de la loi DP. De plus, nous approfondirons la question de savoir qui a accès aux annotations personnelles depuis l'entrée en vigueur du RGPD.

Contenu

Quelles conditions les annotations doivent-elles remplir pour être considérées comme des « annotations personnelles » ?

La loi DP elle-même ne définit pas ce qu’il faut entendre par « annotations personnelles ». Cependant, les travaux préparatoires de cette loi fournissent quelques indications. L’exposé des motifs du projet de loi DP précise ce qui suit [2] :

« … Par annotations personnelles, on entend les notes que le praticien professionnel a dissimulées à des tiers, voire aux autres membres de l’équipe de soins, qui ne sont jamais accessibles et qui sont réservées à l’usage personnel du prestataire de soins … »

Dans une autre partie des travaux préparatoires, nous trouvons l’explication suivante [3] :

« … il a été clairement stipulé que tous les éléments essentiels doivent se trouver dans le dossier et que les annotations personnelles ne peuvent jamais constituer, à elles seules, un dossier de fond. … »

En bref, les annotations ne sont des annotations personnelles qu’à partir du moment où elles répondent à certains critères.

D'une part, les annotations personnelles contiennent principalement des informations destinées exclusivement à l'usage personnel du prestataire de soins. Il s’agit, par exemple [4] :

  • d’hypothèses de travail ;
  • d'aide-mémoire ;
  • de brouillons ;
  • de notes provisoires qui, après un certain temps, perdent leur intérêt pour leur auteur ;

D'autre part, les annotations personnelles ne peuvent contenir des informations essentielles [5]. Il s'agit d'informations nécessaires, entre autres, pour assurer la qualité ou la continuité des soins [6] ou pour remplir les autres finalités du dossier du patient. Voici quelques exemples d'informations essentielles, dans la mesure où vous les avez recueillies :

  • les données d’identification ;
  • les éléments d’anamnèse ;
  • les symptômes rapportés ou observés ;
  • les demandes d'aide ;
  • les résultats de tests ;
  • les courriers de recommandation ;

Vous devez donc veiller à ce que vos annotations personnelles ne contiennent pas de données supplémentaires pertinentes pour la prestation de soins. En effet, ces données supplémentaires ne sont pas couvertes par le concept d'annotations personnelles.

Les annotations personnelles ne peuvent donc jamais constituer en elles-mêmes le fond du dossier. [7]. Il s'agit de commentaires purement personnels, de propres idées, de remarques subjectives, de pistes de réflexion, de questions, d'hypothèses de travail ou d'aide-mémoire [8].

Si vous avez un doute sur les éléments qui constituent le fond du dossier et ceux qui ne le constituent pas, vous pouvez inclure dans votre évaluation les éléments mentionnés à l'article 33 de la loi du 22 avril 2019 relative à la qualité de la pratique des soins de santé (ci-après abrégé en LQS). L'article 33 LQS contient en effet les éléments (le cas échéant et dans la limite de vos compétences) à inclure dans un dossier patient. Vous pouvez consulter la liste de ces éléments ici. En outre, on peut supposer que tous les éléments nécessaires pour assurer la continuité des soins constituent également le fond du dossier. Vous trouverez de plus amples informations sur le dossier du patient et la continuité des soins sur notre page web relative à la « Loi sur la qualité des soins ».

Étant donné qu’il s’agit d’informations dont la durée de conservation est limitée, les annotations personnelles peuvent généralement être rapidement retirées du dossier [9]

Exemples concrets d’annotations personnelles

Exemple 1

Vous effectuez un examen diagnostique et au cours du premier entretien, vous esquissez, sur une feuille séparée, un schéma des différentes hypothèses que vous voulez explorer. Vous utilisez ce schéma comme repère pour garder la trace de vos différentes hypothèses de travail. Lors des sessions suivantes, vous approfondissez votre examen en fonction de ces hypothèses et consignez les résultats dans le dossier du patient. A la fin de l’examen diagnostique, vous n’avez plus besoin de ce schéma. Vous aurez repris les informations importantes – parmi lesquelles les résultats des tests, le diagnostic différentiel et les conclusions qui en découlent – dans votre rapport final, qui fait partie du dossier du patient.

Le schéma que vous avez établi constitue, dans cet exemple, une annotation personnelle.

Exemple 2

Sur la base de l’entretien initial, vous soupçonnez une relation problématique entre le patient et ses parents. Vous estimez cependant qu’il est prématuré d’explorer ce sujet en profondeur car vous voulez d’abord construire une relation de confiance. À la fin de cette première consultation, vous notez sur une feuille à part un certain nombre de sujets que vous souhaitez approfondir au cours des séances suivantes. Ce document est uniquement destiné à votre usage, comme aide-mémoire. Vous n’en aurez plus besoin au terme des séances.

La liste des sujets que vous avez notés sur une feuille séparée est, dans cet exemple, une annotation personnelle.

Qui a accès aux annotations personnelles ?

Les annotations personnelles sont d'abord et avant tout pour vous. Il s'agit, comme déjà mentionné, de commentaires personnels, de propres idées, de remarques subjectives, de pistes de réflexion, de questions, d'hypothèses de travail ou d'aide-mémoire [10]. Les annotations personnelles sont donc avant tout accessibles à vous-même. 

Vos collègues ne peuvent avoir accès à vos annotations personnelles.

La question de savoir si vos patients peuvent avoir accès à vos annotations personnelles a été contestée. 

Sur la base de l'article 9, §2 de la loi DP, les patients ont le droit de consulter directement leur dossier. En revanche, ils ne sont pas autorisés à consulter directement les annotations personnelles d'un professionnel et ne peuvent le faire qu'indirectement, par l'intermédiaire d'une personne de confiance qui est également un professionnel.

Cependant, depuis l'entrée en vigueur du RGPD, ce n'était pas clair si le patient pouvait accéder directement aux annotations personnelles en vertu du RGPD. En effet, sur la base du RGPD (article 15), le patient a, en principe, le droit d'accéder directement aux annotations personnelles. D'autre part, le RGPD permet à une réglementation nationale, sous certaines conditions, de restreindre davantage le droit de consultation (article 23). Le débat portait sur la question de savoir si l'article 9, §2 de la loi DP pouvait être considéré comme une restriction du droit de consultation du patient aux annotations personnelles autorisée par le RGPD ou si, sur la base du RGPD, le patient pouvait maintenant tout de même consulter directement les annotations personnelles.

La Chambre Contentieuse de l’Autorité de protection des données a précisé dans une décision du 6 décembre 2022 qu'en vertu de l'article 9, §2 de la loi DP et conformément au RGPD, les annotations personnelles ne sont effectivement pas directement accessibles au patient dans la mesure où les données en question correspondent effectivement au concept d'annotations personnelles. Pour plus d'informations sur cette décision de la Chambre Contentieuse, cliquez ici.

Où devez-vous conserver les annotations personnelles ?

Vos annotations personnelles font partie intégrante du dossier du patient mais cela n’enlève rien au fait que vous devez les conserver dans un endroit distinct. Vous pouvez, par exemple, les conserver sur des feuilles de papier séparées ou dans un sous-dossier si vous conservez vos dossiers sous forme électronique. Nous insistons sur le fait que les annotations personnelles, même si elles sont incluses dans un sous-dossier du dossier électronique du patient, ne peuvent en aucun cas être accessibles à d'autres professionnels.

Coup d'œil sur la décision 178/2022 de la Chambre Contentieuse de l’Autorité de protection des données

Dans sa décision 178/2022 du 6 décembre 2022 [11], la Chambre Contentieuse de l’Autorité de protection des données décide qu'en vertu de l'article 9 §2 de la loi DP, un patient n'a pas le droit d'accéder lui-même aux annotations personnelles d'un professionnel.

Aperçu de la situation : une patiente (la « plaignante ») demande une copie du « dossier patient manuscrit » d'un médecin.

La plaignante reçoit comme réponse qu'une copie de ses rapports peut lui être envoyée, mais que les « notes personnelles » du médecin ne peuvent être incluses.

La plaignante demande une médiation auprès du Service de Première Ligne de l'Autorité de protection des données.

Au cours de cette procédure, le médecin explique qu'il prend des notes personnelles lors d'une hospitalisation et qu'il rédige ensuite un rapport d'hospitalisation complet. Toutes les informations pertinentes figurent dans les rapports d'hospitalisation, qui sont stockés dans le dossier médical électronique. Le médecin conserve ses « notes personnelles » dans un dossier séparé et celles-ci ne sont pas communiquées aux patients. Le médecin déclare avoir transmis une copie des informations pertinentes à la plaignante.

La plaignante répond que, selon elle, il y a une distinction entre les « notes personnelles » - qui la concerneraient, d'une part, et les « annotations personnelles » - notes annexes qui auraient été prises par le médecin lui-même, d'autre part. La plaignante conteste que le compte rendu électronique soit complet, le médecin ayant pris des notes exclusivement sur papier lors des consultations.

Le Service de Première Ligne décide alors qu'un accord à l'amiable entre les parties n'est pas possible.

Le dossier est transformé en dossier de plainte et transféré à la Chambre Contentieuse.

La Chambre Contentieuse décide de rejeter la plainte pour les raisons suivantes :

L'article 9, §2 de la loi DP indique sans ambiguïté que les annotations personnelles d'un professionnel sont exclues du droit de consultation.

Bien que ce droit de consultation en vertu de l'article 9, §2 de la loi DP soit plus limité que le droit de consultation en vertu du RGPD, l'article 9, §2 est en ligne avec le RGPD. En effet, le RGPD permet à une réglementation nationale de limiter le droit de consultation, notamment sur la base des droits et libertés d'autrui. La Chambre Contentieuse estime que dans ce contexte, la liberté du médecin traitant d'inclure ses propres réflexions, intuitions ou hypothèses de travail dans le cadre du traitement en tant qu'annotations personnelles doit être protégée.

Sur la base de l'article 33 de la LQS (qui stipule les informations minimales que les professionnels de la santé doivent inclure dans le dossier du patient, dont le « compte rendu des consultations avec le patient »), selon la Chambre Contentieuse, il n'apparaît nullement que le médecin doive inclure dans le dossier du patient de la plaignante un compte rendu intégral et substantiellement fidèle de ses échanges avec la plaignante, pendant toute la durée du traitement thérapeutique.

La Chambre Contentieuse se réfère également aux avis du Conseil National de l'Ordre des Médecins sur les données/informations qui sont couvertes par le concept d'annotations personnelles et exclues de la consultation directe par le patient et les données/informations qui ne sont pas couvertes par ce concept et restent soumises au droit de consultation.

La Chambre Contentieuse estime qu'elle ne peut conclure que les « notes personnelles » dans cette affaire :

  • comprenaient effectivement des informations qui auraient été fournies par la plaignante elle-même,
  • contenaient des données médicales supplémentaires qui ne seraient pas compatibles avec le concept d'« annotations personnelles », ou
  • auraient eu des fins autres qu'un usage strictement personnel par le médecin.

La Chambre Contentieuse constate que le médecin a correctement répondu à la demande de la plaignante en lui fournissant une copie du rapport électronique comprenant toutes les informations pertinentes.

La Chambre Contentieuse constate également que la plaignante n'a pas exercé son droit d'accès à son dossier patient par l'intermédiaire d'une personne de confiance qu'elle aurait préalablement désignée pour consulter les annotations personnelles du médecin.

La Chambre Contentieuse note que le médecin a déclaré que toutes les informations pertinentes de ses notes manuscrites se trouvent dans les rapports enregistrés dans le dossier électronique du patient, dont une copie a été remise à la plaignante.

En l'absence de preuves ou d'indications suffisantes selon lesquelles les « notes personnelles » contiendraient des données médicales supplémentaires, qui ne seraient pas compatibles avec le concept d’« annotations personnelles », la plaignante ne dispose pas d'un droit de consultation direct (conformément à l'article 9, §2 de la loi DP) et il n'y a pas de violation du RGPD.

Références

[1] Le service de médiation fédéral « Droits du patient ». Rapport annuel 2011, p. 88. Consulté sur https://www.health.belgium.be/fr/le-service-de-mediation-federal-droits-du-patient

[2] Exposé des motifs du projet de loi relatif aux droits du patient, Doc. parl., Chambre, doc. 50, 2001-2002, n° 1642/001, p. 33. Consulté sur http://www.dekamer.be/FLWB/pdf/50/1642/50K1642001.pdf.

[3] Rapport fait au nom de la Commission de la Santé publique, de l’Environnement et du Renouveau de la Société par Mme Michèle Gilkinet et M. Hubert Brouns, Doc. parl., Chambre, doc. 50, 2001-2002, n° 1642/012, p. 86 Consulté sur http://www.dekamer.be/FLWB/pdf/50/1642/50K1642012.pdf.

[4] M.N. Veys, De Wet Patiëntenrechten in de psychiatrie, Gent, Larcier, 2008, p. 185-186; T. Vansweevelt, (2014). "Hoofdstuk VI - Rechten met betrekking tot het patiëntendossier" in T. Vansweevelt & F. Dewallens, (eds.). Handboek Gezondheidsrecht. Volume II. Rechten van patiënten: van embryo tot lijk, Antwerpen, Intersentia, 2014, p. 517.

[5] Rapport fait au nom de la Commission de la Santé publique, de l’Environnement et du Renouveau de la Société par Mme Michèle Gilkinet et M. Hubert Brouns, Doc. parl., Chambre, doc. 50, 2001-2002, n° 1642/012, p. 86 Consulté sur http://www.dekamer.be/FLWB/pdf/50/1642/50K1642012.pdf.

[6] Avis du Conseil national de l’Ordre des Médecins (27 juillet 2003). Avis : loi relative aux droits du patient. Consulté sur www.ordomedic.be.

[7] Rapport fait au nom de la Commission de la Santé publique, de l’Environnement et du Renouveau de la Société par Mme Michèle Gilkinet et M. Hubert Brouns, Doc. parl., Chambre, doc. 50, 2001-2002, n° 1642/012, p. 86 Consulté sur http://www.dekamer.be/FLWB/pdf/50/1642/50K1642012.pdf.

[8] S. Callens en S. De Wilde, "L'accès au dossier médical: un nouveau droit", in Evolution des droits du patient, indemnisation sans faute des dommages liés aux soins de santé : le droit médical en mouvement, G. Schamps (ed), 172; Advies van de Nationale Raad van de Orde der Artsen, “Het voorontwerp van wet betreffende de rechten van de patiënt”, 16 februari 2002, T.Orde Geneesh. 2002, nr. 95, p.3 en www.ordomedic.be; T. Vansweevelt en F. Dewallens, Handboek Gezondheidsrecht Volume II: van embryo tot lijk, Antwerpen, Intersentia, 2014.

[9] H. Nys, Recht en bio-ethiek, Tielt, Uitgeverij LannooCampus, 2015, p. 84.

[10] S. Callens en S. De Wilde, "L'accès au dossier médical: un nouveau droit", in Evolution des droits du patient, indemnisation sans faute des dommages liés aux soins de santé : le droit médical en mouvement, G. Schamps (ed), 172; Advies van de Nationale Raad van de Orde der Artsen, “Het voorontwerp van wet betreffende de rechten van de patiënt”, 16 februari 2002, T.Orde Geneesh. 2002, nr. 95, p.3 en www.ordomedic.be; T. Vansweevelt en F. Dewallens, Handboek Gezondheidsrecht Volume II: van embryo tot lijk, Antwerpen, Intersentia, 2014.

[11] Consultable sur le site web de l’Autorité de protection des données (uniquement disponible en néerlandais) : https://www.autoriteprotection... .


 
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