La levée du secret professionnel en cas d’état de nécessité

La dernière mise à jour de cette page date du 10/01/2019.

CAS PRATIQUE

Votre client vous décrit le projet d’attaque à main armée qu’il a échafaudé. Pouvez-vous en informer les services de police pour protéger la vie de potentielles victimes ?  

L’état de nécessité est un principe de droit qui ne figure pas comme tel dans un texte de loi, mais qui est néanmoins unanimement admis par la jurisprudence et la doctrine[1]. L’état de nécessité désigne une situation où la violation d’une disposition légale (le secret professionnel, par exemple) est la seule manière de protéger un intérêt d’une valeur supérieure (la vie d’une personne, par exemple)[2]. Comme l’état de nécessité est une cause de justification[3], la révélation des faits couverts par le secret professionnel ne sera pas, dans ces circonstances, pénalement punissable. « Nécessité fait loi ! »[4].

Pour illustrer les points les plus importants, nous avons ajouté, en annexe de ce texte un ensemble d’exemples concrets tirés de la jurisprudence portant sur l’état de nécessité. Jusqu’à présent, les décisions de justice qui concernent spécifiquement les psychologues sont assez rares. Aussi, la plupart des exemples repris en annexe portent sur des situations où sont impliqués des médecins. Ces illustrations peuvent néanmoins vous aider à mieux comprendre la manière dont les règles relatives à l’état de nécessité sont appliquées en pratique.

Vous vous demandez si, dans la situation à laquelle vous êtes confronté, vous pouvez révéler des faits couverts par le secret professionnel ? Ayez le réflexe de vous poser les questions suivantes. Elles vous aideront à prendre votre décision :

  • N’y a-t-il vraiment aucune solution envisageable dans le cadre de la relation de confiance établie avec le client ?
  • Quelles sont les options envisageables et lesquelles d’entre elles avez-vous déjà essayées ?
  • Avez-vous échangé avec des tiers au sujet du cas qui vous préoccupe ? Pensez éventuellement à en discuter avec d’autres psychologues, avec des collègues d’autres disciplines ou, encore, avec des services spécialisés tels que le Centre de Prévention du Suicide et les équipes SOS Enfants ? Que pensent-ils de la situation ?
  • En avez-vous discuté avec le client ? Quel est son point de vue personnel ?
  • Pourquoi est-il nécessaire de communiquer des informations avec un tiers ?
  • Pouvez-vous amener votre client à communiquer lui-même les faits couverts par le secret professionnel ou à renoncer à commettre l’irréparable ?
  • Quelle est la personne la plus indiquée à qui transmettre les informations en question ?
  • Existe-t-il une base légale qui vous permette de lever le secret professionnel ? Les conditions prévues par la loi sont-elles toutes rencontrées ?

Ne perdez jamais de vue que, notamment lors de vos contacts avec des tiers, vous restez tenu au secret professionnel. Vous ne communiquerez pas l’identité des personnes concernées ou des éléments permettant de la déterminer – sauf à pouvoir invoquer l’une ou l’autre des exceptions au secret professionnel.

Contenu


Quelles conditions doivent être remplies ?

Vous pouvez invoquer l’état de nécessité pour révéler des faits couverts par le secret professionnel si plusieurs conditions sont remplies[5]. Celles-ci sont cumulatives et doivent donc toutes être respectées. C’est, par ailleurs, avec rigueur que les conditions de l’état de nécessité doivent être appréciées, en ce compris lorsqu’il en va de l’intégrité de personnes[6]. Il convient à ce niveau de rappeler l’importance du secret professionnel et la nécessité de le préserver autant que faire se peut. Rompre le secret professionnel n’est donc admis, du point de vue juridique, qu’en cas d’absolue nécessité.

1. Vous vous trouvez dans une situation où deux devoirs sont en conflit

L’état de nécessité requiert un conflit entre deux intérêts – souvent dénommé « valeur » ou « bien » dans la doctrine juridique. L’une de ces deux valeurs est sacrifiée pour sauvegarder l’autre[7],[8]. C’est par exemple le cas, lorsqu’en dehors des hypothèses visées aux articles 422bis et 458bis du Code pénal, le psychologue entend révéler des informations couvertes par le secret professionnel pour prévenir une atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’un de ses clients ou d’un proche de ce dernier.

Pour des illustrations de cette condition, voyez :


2. L’intérêt que vous entendez sauvegarder est supérieur ou égal à celui que constitue le respect du secret professionnel

Vous évaluez et comparez soigneusement les valeurs qui, dans la situation à laquelle vous êtes confronté, sont en conflit[9]. Vous ne pouvez révéler des faits à autrui en violation de l’article 458 du Code pénal que si l’intérêt que vous entendez sauvegarder est au moins équivalent à celui que constitue le respect du secret professionnel. Autrement dit, le danger doit être suffisamment grave que pour justifier la violation du secret professionnel – il s’agit d’une application du principe de proportionnalité.

Dans de nombreuses affaires, il a été jugé que la protection de l’intégrité physique ou sexuelle d’une personne constituait une valeur égale ou supérieure au respect du secret professionnel[10]. Il en va certainement ainsi lorsqu’est en jeu la vie d’une personne. La doctrine, de manière générale, s’accorde sur ce point[11].  

Ceci étant, l’état de nécessité peut également justifier la révélation de faits couverts par le secret professionnel dans des situations où il n’existe pas à proprement parler de risque d’atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’une ou de plusieurs personnes déterminées. Tout intérêt peut a priori être pris en compte.

Il est, par exemple, des décisions où la juridiction n’exclut pas que d’autres motifs puissent être invoqués tels que la santé publique[12]. Il a également été admis, dans des circonstances bien précises, que les règles du secret professionnel soient enfreintes pour protéger la réputation d’un établissement hospitalier et ne pas mettre en péril son bon fonctionnement (voyez l’arrêt du 25 novembre 2008 de la Cour d’appel de Liège). Certains auteurs expriment toutefois des réserves sur ce point[13]. Il faut également souligner que la jurisprudence, dans d’autres circonstances, n’a pas toujours suivi ce raisonnement (voyez l’arrêt du 14 juin 2001 de la Cour d’appel d’Anvers).

Vous devez apprécier les intérêts en présence en vous référant, non pas tellement à vos valeurs propres, mais à celles largement partagées au sein de la société[14]. Ceci étant, cet exercice de comparaison reste souvent en pratique très délicat et le résultat de cette évaluation peut apparaître plus ou moins incertain – d’autant plus que, la jurisprudence connaît, pour certaines questions, des évolutions assez importantes[15].

Pour des illustrations de cette condition, voyez :


3. Un mal grave, imminent et certain menace l’intérêt que vous entendez protéger

Cette condition implique qu’une personne doit être sous la menace d’un danger imminent et concret et que vous devez agir maintenant afin de neutraliser ce danger. La menace est certaine, actuelle et grave et est par conséquent plus qu’hypothétique[16].

Si le danger a été écarté, il n’est par conséquent plus question d’un état de nécessité. Il s’agit alors plutôt de dénoncer un délit[17]. L’état de nécessité ne concerne par ailleurs pas des dangers susceptibles de se produire dans un avenir lointain[18].

Pour des illustrations de cette condition, voyez :


4. Vous n’avez pas d’autre choix que de violer le secret professionnel pour sauvegarder l’intérêt que vous entendez protéger

Vous violez le secret professionnel en dernière instance[19]- c’est-à-dire de manière tout à fait subsidiaire[20]. Vous n’avez donc pas la possibilité de protéger l’intérêt à sauvegarder autrement qu’en révélant les faits couverts par le secret professionnel. Commettre cette infraction est, en ce sens, « nécessaire »[21]. Dans cet ordre d’idées, des auteurs soutiennent à juste titre que « [s’il] existe plusieurs moyens également efficaces mais diversement dommageables pour conjurer la menace, il est évident que le choix doit se porter sur le moins préjudiciable »[22]/[23].   

Pour une illustration de cette condition, voyez l’arrêt du 25 mai 2009 de la Cour d’appel de Liège

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Vis-à-vis de qui pouvez-vous rompre le secret professionnel dans le cadre de l’état de nécessité ?

La révélation d’informations couvertes par le secret professionnel sur la base de l’état de nécessité n’est pas réglée par la loi. Il vous appartient dès lors d’évaluer vous-même de quelle manière et vis-à-vis de qui vous pouvez rompre votre secret professionnel. Vous veillerez bien entendu à opter pour la voie la moins invasive et la moins dommageable. Ce sont souvent les autorités judiciaires (le parquet ou le juge d’instruction, par exemple). Suivant la situation, il peut toutefois être indiqué de contacter plutôt la police ou les équipes de SOS enfants par exemple.

Une telle décision n’est pas aisée à prendre. Il est dès lors important de bien y réfléchir et, le cas échéant, d’en discuter avec des collègues tout en veillant à ne pas violer le secret professionnel. Lorsque vous faites une dénonciation, vous devez bien entendu veiller à ne pas rentrer inutilement dans les détails et à ne communiquer que les informations strictement nécessaires. Ni plus, ni moins.

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Annexe - Coup d’œil sur la jurisprudence

Ci-après, vous trouverez plusieurs décisions de jurisprudence qui illustrent les conditions de l’état de nécessité telles qu’explicitées précédemment.

Ne perdez pas de vue que les cas pratiques repris ci-dessous sont des résumés de décisions rendues par les cours et les tribunaux. Certains termes utilisés sont empruntés au vocabulaire juridique et ne rendent pas toujours aisée la compréhension des textes. Par ailleurs, plusieurs décisions originales ne contiennent pas toutes les informations nécessaires pour parfaitement comprendre les situations dont il est fait état. L’une ou l’autre précision peut faire défaut et des résumés peuvent pêcher par leur trop grande généralité.

Nous espérons néanmoins que ces quelques exemples, renvoyant à des situations à la fois concrètes et réelles, vous permettront de mieux saisir les conditions de l’état de nécessité et la manière dont les magistrats les mobilisent pour rendre leurs décisions.


Arrêt du 13 mai 1987 de la Cour de cassation, concernant un arrêt du 22 janvier 1987 de la Cour d’appel de Liège[24]

L’état de nécessité suppose que le respect du secret professionnel soit en conflit avec une seconde valeur qui est reconnue au sein de la société comme lui étant égale ou supérieure. Vos convictions personnelles ne peuvent pas comme telles être prises en compte dans votre démarche réflexive. 

Les faits de la cause. Une fusillade oppose les forces de l’ordre à une bande de truands, qui parviennent à fuir. Ces derniers prennent alors contact avec un médecin pour que des soins soient dispensés à plusieurs d’entre eux, grièvement blessés. Après s’être rendu sur place, le médecin donne des indications aux forces de l’ordre leur permettant de localiser les truands et de les arrêter.

La décision de la Cour d’appel de Liège. La Cour d’appel de Liège considère que le médecin pouvait, sur la base de l’état de nécessité, révéler les faits couverts par le secret professionnel. Pour parvenir à cette conclusion, elle constate notamment que les truands étaient activement recherchés pour avoir commis des faits très graves et que, pour échapper à leur arrestation, ils étaient susceptibles de commettre de nouveaux actes, particulièrement dangereux pour la sécurité d’autres personnes.

Cette décision de la Cour d’appel fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation, introduit par plusieurs de ces truands. L’un d’entre eux est Philippe Delaire, décédé en septembre 1989 lors de la célèbre prise d’otages de Tilff. Un deuxième est Christian Tozon qui, en mars 1989, s’enfuit de manière spectaculaire de la prison de Lantin, en prenant en otage des gardiens et en blessant un policier.

La décision de la Cour de cassation. La Cour de cassation rejette le pourvoi introduit contre la décision de la Cour d’appel de Liège, qui acquitte le médecin sur la base de l’état de nécessité. Elle précise bien à cette occasion que « le choix entre le silence ou la révélation du secret professionnel [ne] relève [pas] de la seule conscience du médecin », mais résulte d’une comparaison des « intérêt[s] socia[ux] » en jeu.


Arrêt du 9 avril 2001 de la Cour d’appel de Mons

L’état de nécessité suppose que le respect du secret professionnel soit en conflit avec une autre valeur qui lui est égale ou supérieure. Dans le cas exposé ci-après, il a été jugé que les intérêts des membres d’une famille en matière d’héritage sont d’une valeur moindre que le respect du secret professionnel. Il n’y a donc pas question, ici, d’état de nécessité.

Les faits de la cause. Des proches d’un défunt contestent la validité du testament rédigé par ce dernier. A cet effet, ils produisent en justice des certificats médicaux en vue d’établir qu’au moment de la rédaction, le testateur n’était plus capable de poser un tel acte juridique. Cependant, l’un de ces certificats a été remis par le médecin traitant à l’avocat de proches à la demande de ce dernier, alors que le testateur était toujours en vie.

Ce certificat devrait être écarté des débats en justice dès lors qu’il a été obtenu en violation du secret professionnel. La question est de savoir si cette pièce ne peut toutefois pas être admise sur la base de l’état de nécessité.   

La décision de la Cour d’appel de Mons. La Cour d’appel considère qu’en l’espèce, la valeur attachée au respect du secret professionnel l’emporte sur l’intérêt des proches. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour d’appel prend en compte plusieurs circonstances, notamment le fait que le certificat ait été sollicité du vivant du testateur et dans le but de protéger les seuls intérêts des proches – et non ceux du testateur.


Arrêt du 14 juin 2001 de la Cour d’appel d’Anvers, rendu en appel de la décision du 7 avril 2000 du Tribunal correctionnel d’Anvers

L’état de nécessité suppose que le respect du secret professionnel soit en conflit avec une autre valeur qui lui est égale ou supérieure. Dans le cas exposé ci-après, il a été jugé que la réputation et l’honneur d’un hôpital et de médecins sont d’une valeur moindre que le respect du secret professionnel. Il n’y a donc pas question, ici, d’état de nécessité.

Les faits de la cause. Une petite fille est admise dans un grand hôpital et décède peu après. Trois médecins sont poursuivis pour homicide involontaire. La direction de l’établissement craint pour la réputation de celui-ci et demande au médecin en chef de rédiger un communiqué de presse. Ce médecin consulte plusieurs avocats, effectue des corrections et transmet le projet à la direction de l’hôpital, qui le transmet à la presse pour être publié. Le communiqué de presse contient des données médicales assez détaillées sur la pathologie dont souffrait la petite fille.

Le médecin en chef est poursuivi pour violation du secret professionnel. Pour se défendre, il soutient qu'il se trouvait dans un état de nécessité et que celui-ci justifiait la révélation des faits couverts par le secret professionnel.

La décision du Tribunal correctionnel d’Anvers. Le Tribunal correctionnel juge que les conditions de l’état de nécessité ne sont pas rencontrées dans le cas d’espèce. Elle considère que la réputation des personnes mises en cause ou de l’établissement ne constitue pas un intérêt d’une valeur supérieure au respect de l’obligation du secret professionnel. Elle ajoute qu’il existait d’autres manières d’éviter le « mal » que la révélation des faits à la presse. En effet, la procédure en justice offrait notamment aux personnes mises en cause la possibilité de défendre leurs droits. Le médecin en chef est, en conséquence, condamné pour violation du secret professionnel.

La décision de la Cour d’appel d’Anvers. Le médecin en chef interjette appel de sa condamnation devant la Cour d’appel d’Anvers. Celle-ci suit néanmoins le raisonnement du Tribunal correctionnel. Elle considère qu’un intérêt d’ordre public, à savoir le respect du secret professionnel, constitue une valeur supérieure à l’honneur ou à la réputation des personnes mises en cause. En conséquence, pour la Cour d'appel, il n'y avait pas d'état de nécessité de nature à justifier la révélation de faits couverts par le secret professionnel.

Nota bene : Le médecin en chef est cependant acquitté par la Cour d’appel. Il se trouvait, selon elle, dans une situation d’erreur invincible. La Cour d’appel relève à cet effet qu’avant de transmettre son projet, le médecin en chef avait consulté et suivi les recommandations de trois avocats jouissant d’une autorité incontestable et d’une solide expérience. Ainsi, même si ces recommandations étaient erronées et qu'aucun état de nécessité ne justifiait la levée du secret professionnel, la Cour d'appel considère que le médecin en chef s'est bien comporté de la même manière qu'un médecin normalement prudent placé dans des circonstances identiques.

La Cour de cassation n’a pas suivi ce raisonnement et l’affaire a donné lieu à plusieurs autres décisions de justice, concernant le médecin en chef ou d’autres personnes mises en cause. Leur analyse n'apporte toutefois pas d'éléments méritant de plus amples développements dans le présent texte. Voyez à cet égard Balthazar (T.), Het gedeeld beroepsgeheim is geen uitgesmeerd beroepsgeheim. In T. Gez. / Rev. Dr. Santé, 2004-2005, p. 139-146. 


Arrêt du 19 novembre 2008 de la Cour d’appel de Mons

L’état de nécessité suppose un danger qui a un caractère imminent – ce qui implique que le danger va se réaliser si vous n’intervenez pas immédiatement.

Les faits de la cause. Un jeune garçon est admis dans un service de soins intensifs. Il est dans le coma et en état d’hypothermie. Il présente également des brûlures au deuxième degré sur le thorax et des hématomes à plusieurs endroits sur son corps. Son état est critique. Le médecin qui le reçoit, après avoir questionné son père, suspecte un cas de maltraitance infantile. Il craint, par ailleurs, que les parents ne veuillent le retirer de l’hôpital, auquel cas cet enfant pourrait de nouveau être exposé à des mauvais traitements – son décès n’étant alors pas à exclure. Le médecin se confie à un confrère, médecin légiste, et ce dernier en avertit le procureur du Roi.

Les parents sont poursuivis en justice en raison des mauvais traitements infligés à leur enfant. La question du secret professionnel est ici examinée par la Cour d’appel de Mons pour savoir si les éléments de preuve à l’encontre des parents ont été obtenus ou non de manière irrégulière. En effet, ces éléments de preuve pourraient être écartés des débats en cas de violation du secret professionnel. Ce n’est pas le cas si la révélation des faits par le médecin légiste est admise sur la base de l’état de nécessité.

La décision de la Cour d’appel. La Cour d’appel de Mons admet l’état de nécessité. Concernant le caractère certain et imminent du mal, elle considère qu’en l’espèce, « la crainte de voir retirer l’enfant de l’hôpital par ses parents n’est absolument pas hypothétique [–] les premières déclarations des deux [parents] attestant de leur volonté de cacher aux autorités médicales et judiciaires la cause exacte de l’état de l’enfant ». Elle ajoute qu’ « animés d’un tel état d’esprit, [les parents] auraient repris dès que possible l’enfant hospitalisé, situation qui l’aurait à nouveau exposé au risque de mauvais traitements et qui aurait pu lui être fatale compte tenu de son état de santé critique ».    

Nota bene : Les révélations du médecin légiste au procureur du Roi ne peuvent pas être admises sur la base de l’article 458bis du Code pénal car, au moment où la Cour d’appel de Mons est amenée à se prononcer, les modifications apportées à cette disposition ne sont pas encore en vigueur. A l’époque, le dépositaire de secrets ne peut révéler les faits infractionnels que si celui-ci a lui-même procédé à « un examen préalable de la victime » ou a « [reçu] directe[ment] des confidences de celle-ci »[25]. L’article 458bis est dorénavant modifié sur ce point. Elle ne prévoit plus cette exigence.


Arrêt du 25 novembre 2008 de la Cour d’appel de Liège

L’état de nécessité suppose que le respect du secret professionnel soit en conflit avec une autre valeur qui lui est égale ou supérieure. Dans le cas exposé ci-après, il a été jugé que la réputation et le bon fonctionnement de l’institution hospitalière sont d’une valeur supérieure au respect du secret professionnel. La condition pour qu’il y ait état de nécessité est ici remplie.

Les faits de la cause. Un médecin traitant diagnostique une bronchiolite ou une bronchopneumonie chez une fille de dix-huit mois et envoie celle-ci au service des urgences d’un hôpital. Selon ses parents, la prise en charge de la jeune patiente à l’hôpital est tout à fait inadéquate. L’état de la jeune fille continue à se dégrader et celle-ci est transférée par hélicoptère vers un service de soins intensifs pédiatriques dans un autre établissement. Elle y décède peu de temps après son arrivée.

Dans les jours qui suivent, les parents déposent plainte auprès du parquet et se constituent parties civiles dans les mains du juge d’instruction. Ils communiquent également de très nombreuses informations aux médias sur le déroulement de l’incident. Ces derniers relaient très largement les événements et les récits qu’en font les parents. Le premier hôpital où la jeune patiente fut admise fait l’objet de critiques sévères. La direction de l’établissement organise alors une conférence de presse pour « rétablir la vérité quant à la façon dont les choses se sont passées et de contester les affirmations diffusées par les parents et relayées par la presse ». La direction précise bien qu’« il appartiendra à l’enquête judiciaire d’apprécier les responsabilités et de dire si les soins ont été assurés correctement ». Deux représentants de la direction sont, à l’issue de la conférence de presse, poursuivis pour avoir violé le secret professionnel à cette occasion.  

L’arrêt de la Cour d’appel de Liège. La Cour d’appel considère – de manière critiquable – qu’il n’y a pas violation du secret professionnel. Pour parvenir à cette conclusion, elle constate notamment que les personnes mises en cause avaient pu « légitimement croire [qu’elles] ne violaient pas le secret professionnel dans la mesure où [elles] évoquaient des faits connus du public » - ce raisonnement étant plus que discutable du point de vue déontologique et juridique.

De manière subsidiaire, la Cour d’appel soutient que, même s’il y avait eu violation du secret professionnel, la révélation des faits serait justifiée sur la base de l’état de nécessité. A cet égard, elle met en avant l’objectif de la conférence de presse, à savoir :

  • - « rectifier certaines erreurs exposées dans la presse sur le déroulement de la prise en charge de l’enfant » ;
  • - « exprimer son point de vue quant aux erreurs de diagnostic, aux négligences et dysfonctionnements [imputés au] service des urgences » ;
  • - et « se défendre contre ses accusations agressives, largement diffusées par les médias ».

Pour la Cour d’appel, le mal grave contre lequel la direction essaye de prévenir est une « atteinte à la réputation de l’institution toute entière », qui serait « susceptible de mettre en péril le bon fonctionnement de l’hôpital envers tout patient amené à y recevoir des soins ». La Cour d’appel constate, dans la foulée, que la direction n’avait pas d’autres solutions que de violer le secret professionnel pour « défendre l’hôpital et son personnel contre les conséquences néfastes de cette médiatisation » – qualifiée, dans l’arrêt, d’« abusive et tendancieuse ». Elle pousse l’examen encore plus loin en précisant que « ce faisant, [la direction a] agi de manière équilibrée et modérée, se contentant de répondre aux accusations, qu’elle considère comme injustes, sur le terrain choisi par les parties civiles mais de manière plus sereine que celles-ci ».

Nota bene : Dans d’autres circonstances, l’état de nécessité n’a pas été admis pour justifier la violation du secret professionnel au motif que l’honneur et la réputation d’un médecin et d’un hôpital étaient en péril. Voyez. l’arrêt du 14 juin 2001 de de la Cour d’appel d’Anvers[26]. Ce n’est que dans des situations exceptionnelles que l’honneur et la réputation doivent être considérés comme étant d’un intérêt d’une valeur égale ou supérieure au respect du secret professionnel.


Arrêt du 25 mai 2009 de la Cour d’appel de Liège

L’état de nécessité suppose un danger qui a un caractère imminent – ce qui implique que le danger va se réaliser si vous n’intervenez pas immédiatement.

Les faits de la cause. Un médecin reçoit un athlète de haut niveau qui souhaite se faire injecter illégalement de l’EPO. Il apprend à cette occasion les pratiques pénalement sanctionnables d’un confrère, qui administre ce produit à plusieurs sportifs pour leur permettre d’améliorer leurs prestations. Le médecin en informe la police judiciaire, mais plus de deux ans après en avoir été informé par son patient.

Le second médecin est poursuivi par la justice pour l’administration illégale de substances stupéfiantes. La question du secret professionnel est ici examinée par la Cour d’appel pour savoir si les éléments de preuve à l’encontre de ce médecin ont été obtenus ou non de manière irrégulière. En effet, ces éléments de preuve pourraient être écartés des débats en cas de violation du secret professionnel. Ce n’est pas le cas si la révélation des faits couverts par le secret professionnel est admise sur la base de l’état de nécessité.

La décision de la Cour d’appel. La Cour d’appel rejette l’état de nécessité pour justifier au motif que « l’écoulement d’un tel délai [- à savoir deux ans -] est manifestement incompatible avec le concept d’état de nécessité qui suppose une situation exceptionnelle et critique à laquelle il s’agit de parer dans des délais extrêmement brefs ».


Jugement du 21 juin 2016 du Tribunal correctionnel de Flandre occidentale (Courtrai)

L’état de nécessité suppose que le respect du secret professionnel soit en conflit avec une autre valeur qui lui est égale ou supérieure. Dans le cas exposé ci-après, il a été jugé que la protection de la vie d’un enfant in utero est d’une valeur supérieure au respect du secret professionnel. Il y avait, en l’espèce, état de nécessité.

Les faits de la cause. Un patient rapporte des faits préoccupant à son psychiatre traitant. Ce patient exerce une emprise importante sur la personne de son ex-partenaire sur le plan émotionnel. Il décide également ce que celle-ci peut ou ne peut pas faire. Par ailleurs, il a déjà mis à de très nombreuses reprises – quinze à vingt fois – des médicaments dans le café de son ex-partenaire enceinte afin de provoquer une fausse couche. Le psychiatre révèle ces faits aux autorités. 

Le tribunal est uniquement amené à se prononcer sur le comportement du patient. Si la question du secret professionnel est examinée par le tribunal correctionnel, c’est pour déterminer si les éléments de preuve ont été obtenus légalement ou non. En effet, en cas de violation du secret professionnel, ces éléments pourraient être exclus des débats.

La décision du Tribunal correctionnel de Flandre occidentale (Courtrai). La juridiction considère comme justifiée, sur la base de l’état de nécessité, la révélation par le psychiatre des faits couverts par le secret professionnel. Dans son raisonnement, elle affirme notamment que la protection de la vie d’un enfant in utero est d’une valeur supérieure au respect du secret professionnel.

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Références

[1] Tulkens, F., Van de Kerchove, M., Cartuyvels, Y., et Guillain, C. (2014). Introduction au droit pénal. Aspects juridiques et criminologiques (14eéd.). Waterloo : Kluwer, p. 383-385.

[2]Van Der Straete, I., et Put, J. (2005). Beroepsgeheim en hulpverlening. Brugge: Die Keure, p.159; Tulkens, F., Van de Kerchove, M., Cartuyvels, Y., et Guillain, C. (2014). Introduction au droit pénal. Aspects juridiques et criminologiques (14e éd.). Waterloo : Kluwer, p. 386.

[3]Put, J., et Vanderstraete, I. (2005). Beroepsgeheim en hulpverlening. Brugge: Die Keure, p. 159; Hennau, C., et Verhaegen J. (2003) Droit pénal général (3e éd.). Bruxelles : Bruylant, p. 188-189.

[4]Steunpunt Jeugdhulp (2014). Beroepsgeheim voor dummies. P. 10. Consulté à l’adresse suivante :    https://www.kennisplein.be/Pages/Beroepsgeheim-voor-dummies.aspx

[5] Hausman, J.-M. (2016). Secret professionnel et confidentialité. In Hausman, J.-M., et Schamps, G. (dir.). Aspects juridiques et déontologiques de l’activité de psychologue clinicien. Bruxelles : Bruylant, p. 216.

[6] Moreau, T., (2013). Chapitre XXV - La violation du secret professionnel. In Bosly, H.D., et De Valkeneer, C., (dir.). Les infractions. Volume V. Les infractions contre l’ordre public. Bruxelles : Larcier, p. 712; Put, J., et Vanderstraete, I. (2005). Beroepsgeheim en hulpverlening. Brugge: Die Keure, p. 160-161.

[7]Tulkens, F., Van de Kerchove, M., Cartuyvels, Y., et Guillain, C. (2014). Introduction au droit pénal. Aspects juridiques et criminologiques (14e éd.). Waterloo : Kluwer, p. 391; Moreau, T. (2013). Chapitre XXV - La violation du secret professionnel. In Bosly, H.D., et De Valkeneer, C., (dir.). Les infractions. Volume V. Les infractions contre l’ordre public. Bruxelles : Larcier, p. 712.

[8] La valeur ou l’intérêt qui est sacrifié est légalement protégé, et ce contrairement à la valeur ou à l’intérêt qui est protégé. C’est l’une des caractéristiques de l’état de nécessité. Si la valeur ou l’intérêt à protéger est légalement protégée, on est en présence d’une autre cause de justification objective qu’est l’ordre ou l’autorisation de la loi ou le commandement de l’autorité. L’article 458bis du Code pénal en constitue une illustration.  

[9] Put, J., et Vanderstraete, I. (2005). Beroepsgeheim en hulpverlening. Brugge: Die Keure, p. 160.

[10] Put, J., et Vanderstraete, I. (2005). Beroepsgeheim en hulpverlening. Brugge: Die Keure, p. 160.

[11] Voyez la note de N. Collette-Basecqz, publiée sous la décision de la Cour d’appel de Liège du 25 mai 2009 (Tijdschrift voor gezondheidsrecht / Revue de droit de la santé, 2009-2010, p. 47).

[12] Voyez la décision de la Cour d’appel de Liège du 25 mai 2009.

[13] Dierickx, A., Buelens, J., et Vijverman, A. (2014). Chapitre VII - Het recht op de bescherming van de persoonlijke levenssfeer, het medisch beroepsgeheim en de verwerking van persoonsgegevens. In Vansweevelt, T., et Dewallens, F., (dir.). Handboek Gezondheidsrecht. Volume II. Rechten van patiënten: van embryo tot lijk. Antwerpen: Intersentia, p. 676.

[14] Hennau, C., et Verhaegen J. (2003) Droit pénal général (3eéd.). Bruxelles : Bruylant, p.196-198; De Nauw, A. (2010). Inleiding tot het algemeen strafrecht (3e éd.). Brugge: die Keure, p. 80.

[15]Tulkens, F., Van de Kerchove, M., Cartuyvels, Y., et Guillain, C. (2014). Introduction au droit pénal. Aspects juridiques et criminologiques (14e éd.). Waterloo : Kluwer, p. 386-389.

[16]Blockx, F. (2013). Beroepsgeheim. Antwerpen: Intersentia, p. 368.

[17]Nouwynck, L. (2012). La position des différents intervenants psycho-médicaux-sociaux face au secret professionnel dans un contexte judiciaire – Cadre modifié, principe conforté. Revue de droit pénal et de criminologie, 2012 (6), p. 629.

[18] Royer, S., & Verbruggen, F. (2017). ‘Komt een terrorist met zijn advocaat bij de dokter…’ Mogen of moeten beroepsgeheimhouders spreken. Nullum Crimen, 12 (1), p.  32.

[19]Blockx, F. (2013). Beroepsgeheim. Antwerpen: Intersentia, p. 369.

[20]Nouwynck, L. (2012). La position des différents intervenants psycho-médicaux-sociaux face au secret professionnel dans un contexte judiciaire – Cadre modifié, principe conforté. Revue de droit pénal et de criminologie, 2012 (6), p. 629.

[21] Tulkens, F., Van de Kerchove, M., Cartuyvels, Y., et Guillain, C. (2014). Introduction au droit pénal. Aspects juridiques et criminologiques (14e éd.). Waterloo : Kluwer, p. 390.

[22] Hennau, C., et Verhaegen J. (2003) Droit pénal général (3eéd.). Bruxelles : Bruylant, p. 193.

[23] Colette-Basecqz, N. (2009). La violation du secret professionnel dans une situation de maltraitance d’enfant. La justification par l’autorisation de l’article 458bis du Code pénal ou par l’état de nécessité. Tijdschrift voor gezondheidsrecht / Revue de droit de la santé,2009 (1), p. 24. Selon cet auteur, l’état de nécessité justifie la commission d’une infraction « à condition que l’acte reste utile, strictement nécessaire et proportionné ».

[24] Sur cette décision, voyez Dierickx, A., Buelens, J., et Vijverman, A. (2014). Chapitre VII - Het recht op de bescherming van de persoonlijke levenssfeer, het medisch beroepsgeheim en de verwerking van persoonsgegevens. In Vansweevelt, T., et Dewallens, F., (dir.). Handboek Gezondheidsrecht. Volume II. Rechten van patiënten: van embryo tot lijk. Antwerpen: Intersentia, p. 676-677.

[25] Sur cette décision, Colette-Basecqz, N. (2009). La violation du secret professionnel dans une situation de maltraitance d’enfant. La justification par l’autorisation de l’article 458bis du Code pénal ou par l’état de nécessité. Tijdschrift voor gezondheidsrecht / Revue de droit de la santé, 2009 (1), p. 24.

[26] Sur cette décision, Balthazar, T. (2004). Het gedeeld beroepsgeheim is geen uitgesmeerd beroepsgeheim. Tijdschrift voor gezondheidsrecht, 2004 (2), p. 139-146.


 
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